Bons baisers de Russie
Épisodes, séquences, suspense, rebondissements, feuilleton, la guerre en Syrie se déroule sous nos yeux comme un film de cinéma, comme toutes ces séries déversées à longueur de journées sur tous les écrans de télévisions de la planète. Nous sommes depuis deux ans les spectateurs passifs de ce scénario écrit et dicté par le président syrien, Bachar El-Assad et les rebelles qui, selon Quentin Michaud, rédacteur en chef adjoint du site infosdefense.com sont composés de “locaux syriens qui entrent progressivement dans l’ASL (Armée Syrienne de Libération) pour détrôner le président Assad du pouvoir. Ils sont soutenus, selon lui, par les Etats-Unis et les pays occidentaux en matière de formation et d’armement. D’autres groupes appartenant à Al Qaida et aux islamistes participent activement aux combats contre Assad“.
À la lumière de cette information, nous comprenons que sur le terrain à Damas, Homs ou ailleurs il n’y a ni gentil, ni méchant. Cette guerre n’a ni visage, ni couleurs. La population joue le rôle de la victime sans défense. Une victime qui meurt à petit feu chaque jour à coup de bombardements et autres armes chimiques. Drame, tragédie, horreur, tous les ingrédients sont réunis pour attiser l’intérêt des spectateurs et des téléspectateurs.
Depuis près de deux ans, les morts s’entassent et le monde compte sans broncher le nombre des victimes comme les chiffres des promesses de dons au fameux Téléthon. 110.000 morts plus tard, toujours aucune réaction. Et comme dans toute tragédie grecque, il y a l’acmé, l’apogée, le moment où 1300 personnes sont gazées et tuées sur le coup. Hommes, femmes, enfants, toutes et tous victimes d’armes chimiques sans odeurs ni saveurs.
Or, pour les grandes puissances de ce monde, le gaz a malheureusement une saveur et une couleur celle de la Shoah et du génocide de 6 millions de Juifs par l’Allemagne nazie. À l’époque, toutes ces grandes puissances avaient attendu la fin de la guerre pour révéler au monde l’existence de camps de concentration. Une faute impardonnable qu’elle traîne comme un fardeau comme Jésus portant sa croix. Pour expier sa faute et parvenir à se façonner une nouvelle conscience, l’occident a fixé cette tragédie comme l’apogée de l’horreur et tout événement qui ressemble de près ou de loin à l’Holocauste se doit d’être puni avec vigueur et sans ménagement.
Mais, depuis la Shoah, la réalité des conflits a littéralement changé. Les informations échangées à la seconde aux quatre coins de la planète et la multiplication des images conditionnent les positions politiques des opinions, d’une part, et ont, d’autre part, obligé les dirigeants de cette planète à prendre en compte cette doxa participative et ainsi modeler leurs décisions sur ce nouveau temps médiatique. Ajouté à cela, le travail de fourmi des renseignements généraux de tous les États de la planète, vous obtenez un maelström d’information à gérer et à vérifier en un temps record car la vitesse des informations a passé la surmultipliée lors de ces cinq dernières années et le dossier syrien, comme bons nombres de conflits au Moyen-Orient, n’a pas dérogé à ce flot continu d’informations envoyées via les réseaux sociaux, les chaînes d’informations 24/24 et autres organes de presse. Ainsi, pour les chefs d’États, seuls maîtres à bord dans les résolutions de conflits, il faut savoir prendre en compte tous ces paramètres et prendre au final une décision.
Pour Quentin Michaud, “Barack Obama et François Hollande ainsi que tous les dirigeants occidentaux ont failli dans cette tache dans le conflit syrien“. Pour preuve, selon l’expert militaire français, “l’emballement médiatique qui prévaut en Syrie depuis quelques mois a pris de court le pouvoir politique. En France, lorsque des journalistes du Monde ont ramené des preuves d’utilisation d’armes chimiques (l’information date de Mai 2013) sur des civils syriens et qu’ils ont fourni des échantillons de cheveux et de sang aux services de renseignement français, le pouvoir exécutif a compris la nécessité d’afficher une position ferme à l’égard de Damas. Dans le même temps, aux États-Unis, il a fallu attendre que l’armée de l’air israélienne opère des frappes ciblées à l’égard de stocks d’armes syriennes (notamment des missiles anti-navires) pour que Barack Obama affiche sa fermeté et conserve ainsi son leadership dans le traitement de l’affaire syrienne“.
Réaction plutôt qu’action, les deux dirigeants se sont laissé déborder par le courage de journalistes ayant bravé les combats pour enquêter sur le terrain et prouver l’utilisation d’armes chimiques contre les populations civiles. Dans le même temps, les autorités israéliennes ont donné une leçon de real-politik aux dirigeants américains qui, comme l’affirme Quentin Michaud, “malgré leur position d’attente dans ce conflit, Israël n’hésitera pas à attaquer encore une fois les positions syriennes comme elle l’a prouvée par le passé car c’est un pays qui est perpétuellement en guerre contre ses voisins et notamment contre le Hezbollah”. Une menace qui, selon la presse spécialisée, “les oblige à garder le silence pour éviter de voir déborder le conflit dans leur pays“.
Est-ce à dire qu’avoir des positions stratégiques fermes et des ennemis clairement identifiées permettent de mieux maitriser son environnement et de prendre les décisions politiques en conformité avec les intérêts de son pays?
La question peut apparaître comme une lapalissade, que la réponse positive paraît si évidente, mais il faut croire qu’elle se pose pour Barack Obama et les États-Unis car pour Quentin Michaud, depuis son élection,”le président des États-Unis a mis en échec total la politique étrangère de son pays, c’est, selon les experts avisés, l’une des causes de son immobilisme actuel“.
Un immobilisme dont profite la Russie qui comme Israël affiche clairement ses choix, ses préférences, et ses priorités. Depuis le début du conflit, Vladimir Poutine et Sergey Lavrov n’ont de cesse de soutenir leur vieil ami Assad. Il n’y a aucune fausse note dans leurs communications respectives et leurs positions communes n’ont pas bougé d’un iota, et ce, malgré l’utilisation de gaz chimique contre la population syrienne. Ils ont d’ailleurs profité du recul de Barack Obama sur l’idée d’une intervention militaire pour proposer une porte de sortie à Bachar El-Assad à savoir le contrôle international des armes chimiques en Syrie. Là aussi, la Russie impose une ligne directrice forte et l’Amérique dispose, prisonnière du manque de consensus de la communauté internationale sur l’utilité d’une intervention militaire.
Malgré la proposition française de vote d’une résolution de l’ONU sur la Syrie et les concertations menées par les pays de l’Union Européenne pour échafauder une position commune sur le dossier, le monde attend de connaître la ligne directrice des États-Unis. Mais, l’Amérique pâtit du manque de leadership de son président sur la scène internationale. Barack Obama garde en mémoire les conflits en Afghanistan, en Irak où son prédécesseur, George W. Bush avait justifié l’envoi de troupes par la présence d’armes de destruction massive. Toutes les inspections menées par les agents de l’ONU envoyés sur place ont prouvé le contraire. Le monde s’est aperçu que les motifs de cette guerre étaient erronés et mensongers. Barack Obama est aujourd’hui confronté à ce dilemme. Ai-je assez d’informations crédibles pour dire que Bachar El- Assad a pris la décision de gazer son propre peuple? Gazer son propre peuple et s’ingérer dans une guerre civile au Moyen-Orient justifie-t-il des frappes aériennes contre la Syrie? et dernière question et non des moindres, l’Amérique est elle encore apte à aller intervenir dans un conflit hors de ses frontières? Des interrogations que bons nombres de président des États-Unis se sont posé durant l’Histoire. Barack Obama se les pose aujourd’hui. Il est l’acteur principal, apparemment bien malgré lui, des feuilletons macabres de cette crise syrienne. Par son attitude de second rôle, il préserve le suspense et maintient les observateurs de cette guerre sanguinaire sous tension. Mais attention, l’Histoire ne se joue ni sur les plateaux de télévision, ni à la roulette russe. Son indécision pourrait l’effacer des tablettes du souvenir et laisser à d’autres le soin d’écrire la suite des pages de l’Histoire du monde.
*Quentin Michaud, rédacteur en chef-adjoint du site www.infosdefense.com.